Une pyramide sous terre à Saventhem

Au printemps de l’an de grâce 1517, le maître des Comptes du duché de Brabant arpentait un lot de terre qu’il venait d’acquérir quand il fut intrigué par une butte considérable, visible de très loin. Elle était aussi haute qu’un cloché d’église rurale et cinq chênes séculaires la couronnaient.

Ce tertre l’étonna d’autant plus que nul paysan des environs ne put lui fournir d’explication valable sur son origine sinon que l’endroit était nommé le Champ de la tombe.

La seule autre information qu’il recueillit auprès des érudits concernait la présence aux alentours de six autres mottes de moindre importance, lesquelles auraient eu un rapport légendaire avec une sœur de Jules César, curieusement appelée Swana. Le village de Saventhem tirerait précisément son nom de ces sept bosses.

Chez les Celtes de même qu’en Bretagne, Savenn’hen signifie vieille chaussée. Un antique chemin traverse justement le site, joignant deux routes venant de Bavay, celle de Tongres, et d’Utrecht. Pour des raisons pratiques et afin d’en savoir plus, le maître des Comptes fit raser la motte.

Après sept jours de travaux, on découvrit au centre de cette étrange pyramide un petit édifice voûté, long de sept pieds, construit en pierres grises soigneusement appareillées, alternant avec du marbre.
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Vers l’Orient, il y avait une porte fermée par un énorme monolithe qu’on ne put déplacer d’un pouce. Il fallut donc pratiquer un trou de taille humaine dans la solide muraille. Quand un pan de la paroi croula, une odeur très mystérieuse s’échappa de l’orifice à la stupeur générale.

Le phénomène persista pendant près d’une semaine. Les ouvriers furent effrayés par la découverte d’une sorte d’homme nu que l’on apercevait à l’intérieur. Seul un enfant osa pénétrer dans la chambre et découvrit, derrière l’impudique bas-relief, un sarcophage dont la sculpture ailée était le couvercle.

Dans la cavité, parmi des bouteilles et des vases, il ramassa une petite lampe de cuivre ciselé, d’où sortait une mèche de coton encore chaude, comme si elle venait de s’éteindre.

La peur s’empara des ouvriers. Seul l’enfant garda son calme. Il approcha l’objet de la lumière: c’était un phallus qu’il tenait entre ses mains, parfaitement imité, jaillissant de la bouche d’un visage humain monté en lampe à huile. Une lampe miracle qui paraissait avoir brûlé treize siècles au moins, sans interruption. Six monnaies trouvées au fond d’une urne et frappées à l’effigie de Faustine, femme d’Antonin le Pieux, permirent de dater la tombe de la seconde moitié du IIe siècle.

Deux grandes bouteilles en verre translucide contenaient des restes calcinés. Dans un pot, on trouva aussi quelques bijoux et un bel anneau d’or dont l’entaille représentait un cavalier brandissant un javelot à la poursuite d’un cerf. L’homme ailé sculpté sur le couvercle tenait un pain dans la main gauche et une coupe d’où coulait du vin dans l’autre. Personne ne s’imagina qu’il pouvait y avoir un autre lien que la mort entre tous ces objets, que le motif de leur dépôt puisse été différent. Un cavalier armé d’un javelot, un cerf fuyant, un homme ailé tenant le pain des moissons et le vin des vendanges, tout cela pouvait fort bien se rapporter à une même entité qu’il ne fallait pas nécessairement aller chercher à Rome.

Ces éléments réunis composaient les attributs d’une divinité locale, gauloise, en l’occurrence ce Lug qui était justement le patron des routes et que l’on vénérait précisément au sommet de hautes buttes.

Les Celtes appelaient leurs dieux planètes, comme les sept astres dont la position variait sur la carte d’un ciel planétaire. Quant au domaine réservé à chacune de ces divinités, il était très clair.

Les druides étaient somme toute de parfaits astrologues et le panthéon des dieux leur servait à exprimer discrètement les influences astrales sur les individus. Ils traduisaient leurs horoscopes en termes de religion ou de philosophie.

Lug était le simulacre de la planète au mouvement le plus rapide, Mercure. Les attributs du dieu à savoir les ailes, le cerf et le javelot le mettaient en évidence. Lug, affublé de l’épithète Kernunnos ou cornu, ne dédaignait pas de se coiffer des bois du cerf que son javelot lui avait permis d’atteindre. Tous ces éléments, sans exception, correspondaient aux symboles de la bague et du sarcophage mis au jour sous la butte de Saventhem. Lug était le patron des messagers. Il était aussi le patron des bardes. Sa protection s’élargissait à tous les voyageurs, spécialement aux commerçants ambulants à l’époque.

Dans cette partie de la Gaule, les routes étaient bien antérieures à l’époque romaine, comme le prouvent de nombreuses tombes à char datant de plusieurs siècles avant l’arrivée des légions. Les mesures de Lug ou lieues allait survivre aux milles romains pour refaire surface au Moyen Âge. Il existait, le long de ces voies antiques, un système de buttes visibles de loin qui servaient à la transmission de messages par signaux, au moyen de fumées le jour et de feux la nuit.

Ces mottes n’étaient pas implantées au hasard : leur position était calculée non seulement en fonction de leur visibilité, mais aussi en fonction de critères sacrés. À l’endroit choisi, on construisait d’abord un petit temple qui allait faire l’objet d’une cérémonie de consécration à Lug ou à Mercure, avec dépôt de reliques et de monnaies, avant de le recouvrir de terre jusqu’à la hauteur voulue. C’est l’une de ces nombreuses buttes qui se dressait à Saventhem, en bordure du vieux chemin.

L’un des rites les plus spectaculaires auxquels ces buttes donnaient lieu était celui des Lugnazad, ou nuit de Lug. Il se déroulait entre moissons et vendanges, ce que semblait évoquer, avec son pain dans une main et sa corne à boire dans l’autre, le dieu ailé sculpté sur le couvercle du sarcophage.

La fête commençait au crépuscule du premier jour d’août. Ce soir-là, obéissant à un mot d’ordre, toutes les mottes de la Gaule, et plus tard de l’empire entier, s’enflammaient soudain. Au centre de cette immense toile d’araignée de lumière se situait une statue colossale de Lug. Haute de quarante mètres, elle avait coûté dix années de travail au sculpteur grec Zénodore et, au premier siècle de notre ère, elle dominait le pays des Arvernes depuis les quinze cents mètres d’altitude du puy de Dôme.

Au même moment, les délégués de tous les peuples de la Gaule s’assemblaient dans la cité du Lugdunum ou de Lyon. Le même soir, également au sommet du tertre de Saventhem, le préposé au bûcher épiait au sud-ouest le chef-mont d’où allait jaillir d’un instant à l’autre le signal de feu attendu: le mont Lug de Bruocsella dont le feu enflammerait le ciel depuis la butte où serait érigée bien plus tard la cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule. Cet alignement de brasiers devait être remarquable.

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