Un petit coup de main pour déporter, ça ne se refuse pas

Un petit coup de main pour déporter, ça ne se refuse pas

En mai, au moment de l’attaque, il y a chez nous près de 100 000 juifs. Il y en a qui sont là depuis des temps immémoriaux et d’autres qui viennent d’arriver de partout, principalement d’Allemagne et d’Autriche après avoir fui le début des persécutions nazies. Près de 35 000 d’entre eux seront déportés, 29 000 ne reviendront jamais dont 5 000 enfants.

Au début de l’occupation, il y a eu des gens asses naïfs pour penser que ce serait différent chez nous, qu’on laisserait les juifs tranquilles. Bien entendu, ils commencèrent à comprendre leur erreur quand en octobre 1940 déjà, la première loi antijuive fut promulguée.

Drapeau du V.N.V.

Rapidement il est, entre autres, interdit aux juifs de mettre leurs enfants dans des écoles non-juives, de travailler dans les administrations, d’être enseignants. S’ils étaient dans le secteur médical, interdit d’avoir des patients non-juifs, d’exercer une profession libérale ou d’avoir un registre de commerce. Ils ne peuvent bientôt plus fréquenter les théâtres, les cinémas, les concerts, les stades. S’ils prennent le tram, ils doivent rester sur la plate-forme, interdiction pour eux de rentrer dans l’habitacle. Il leur est aussi interdit de quitter le pays et même de vivre en dehors des villes d’Anvers, Bruxelles, Charleroi ou Liège. Puis à partir de juin 1942, tous les juifs à partir de l’âge de six ans doivent porter l’étoile jaune…

Beaucoup de Belges, comme dans tous les pays, ne furent ni des traitres, ni des héros, ils ne furent ni pour ni contre ce que firent les Allemands. Comme pour ce qui est de la résistance, même s’il y eut des milliers de résistants, combien de pour cent représentèrent-ils sur les millions d’habitants que comptait le royaume ? Concernant les déportations juives, malgré tout, ces
dernières auraient pu causer encore bien plus de mal si, dès le début, les juifs n’avaient pas trouvé parmi nos compatriotes une aide qui permit à quelques milliers d’entre eux d’échapper aux griffes allemandes. Malheureusement, nos grands-parents furent loin de se retrouver tous en train de cacher des juifs ou leurs enfants. Comme dit plus haut, il y eut ceux, le plus grand nombre, pour qui s’occuper d’eux-mêmes et de leur famille, était le maximum de ce qui pouvait s’envisager ; ce furent ce qu’on pourrait appeler des neutres. Puis il y eut les héros, anonymes ou reconnus, qui sauvèrent un grand nombre de vies. Enfin il y eut les autres, ceux qui aidèrent les Allemands.

Parmi ceux-ci, citons en premier lieu les groupes d’extrême droite d’avant-guerre comme Rex ou le V.N.V.

Aujourd’hui encore, ceux qui s’en revendiquent parlent de leur action durant la guerre comme celle de croisés luttant aux marches de l’Occident chrétien pour repousser l’ennemi communiste. Ils oublient l’aide importante qu’ils apportèrent à la persécution organisée contre les Juifs qui pourtant étaient loin de représenter la moindre menace communiste…

Léon Degrelle, fondateur du Parti Rex - 1944

En réalité, au-delà de leur anticommunisme primaire et de leur idéologie réactionnaire, nos fascistes belges étaient aussi profondément racistes. L’arrivée des hommes d’Hitler ne fit que leur permettre de passer à l’acte en devenant les auxiliaires de la SS.

Cela même si une historienne allemande rapporte que les occupants n’étaient pas très contents du manque de soutien de nos extrémistes de droite. Elle a notamment retrouvé un rapport allemand qui en 1942 constatait que le VNV et Rex ne faisaient pas preuve d’un zèle excessif pour aider les nazis dans leur chasse aux juifs.

Peut-on réellement croire à un manque de zèle ou bien à l’incompétence reconnue d’une bande de dégénérés ?

Par contre dès 1940, des intellectuels et des artistes soutenus par la propagande allemande vont essayer de faire passer massivement leur idéologie dans le grand public. Sans jamais y parvenir, car même s’il n’est que rarement acteur, le Belge lambda a un fond de patriotisme qui lui fait rejeter tout ce qui est d’évidence lié à l’occupant.

Leur principal moyen d’action sera bien entendu la presse confisquée par les collaborateurs. L’idée véhiculée, comme avant-guerre, est que c’est une lutte à mort contre les juifs pour notre survie.

En décembre 1941, le journal belge Volksche Aanval rapporte les paroles d’Hitler qui déclarait en septembre 1939 que si les juifs parvenaient encore une fois à être la cause d’une guerre, cela leur vaudrait d’être exterminés en tant que race en Europe !

Il n’y a même plus de doute à avoir sur ce que signifie la « solution finale », après avoir lu que « les juifs devaient se retrouver dans des camps de concentration ».

Quand commencent les déportations et les rafles, ceux de nos journalistes qui sont à la botte de l’occupant, encouragent le bon citoyen à la dénonciation. Certains vont même jusqu’à publier des lettres de délation ; un autre titre : « La chasse est ouverte »…

Il y eut des résistants, des indifférents, des collaborateurs, et puis il y eut aussi la police et certaines administrations qui allèrent beaucoup plus loin que le fait de simplement faire respecter l’ordre au niveau de la population belge.

Mise à sac de la synagogue d'Anvers le 14 avril 1941

Voici quelques exemples édifiants de ce qui se fit chez nous. De décembre 1940 à février 1941, plus de trois mille juifs anversois de nationalité étrangère sont déportés vers la province du Limbourg, où ils sont répartis dans différentes communes.


Qui se charge de les conduire sous bonne escorte à la fois à la gare, dans le train et jusqu’à bon port ? réponse : la police… anversoise.

C’était la première fois que des policiers belges se mettaient à la disposition des Allemands pour arrêter des juifs.

Les Anversois firent aussi « un peu plus »… Le 23 décembre 1940, leur commissaire en chef donne l’ordre d’aller arrêter chez eux les Juifs qui n’avaient pas répondu à la convocation de se rendre dans le Limbourg. Le même jour, Léon Delwaide, le bourgmestre de la Métropole, se dit prêt à héberger les « récalcitrants », parmi les « juifs du Limbourg », dans un des dépôts de sa « belle » cité.

Après le bourgmestre, c’est le gouverneur de la province, toujours d’Anvers, qui propose, en janvier 1941, de faire mettre sous les verrous les « indisciplinés » quand ils viendraient chercher leurs timbres mensuels de ravitaillement. Ce n’était encore que le Limbourg me direz-vous et même si ce n’est pas une terre rêvée de vacances, ce n’est pas non plus Auschwitz.

Nous allons faire beaucoup mieux. Un véritable retour en arrière vers le Moyen Âge et sans qu’on ne demande rien. Un pogrom, vous savez, ces joyeusetés qui consistaient à tout piller dans un quartier juif d’une ville il y a des centaines d’années…

Le 14 avril 1941, pendant la Pâque juive, des membres proallemands du « Volksverwering », de la « Zwarte Brigade », de « De Vlag » et de la « SS Vlaanderen », lancent une attaque dans les quartiers juifs d’Anvers.

Au cours de ce pogrom, on brûle des synagogues, quelques maisons, dont celle du rabbin. Des Tora, des livres de prières, tout ce qu’il faut pour faire de beaux bûchers à l’allemande.

Des Allemands qui, trop contents du spectacle offert, empêchent les pompiers d’intervenir.

Par la suite, le tribunal ordonna à la ville d’indemniser les Juifs pour les dégâts subis, mais les Allemands interdirent l’application du jugement et, contrairement à ce qui été prétendu plus tard, il n’y aurait au final jamais d’indemnisation.

Une nouvelle ordonnance allemande de mai 1942 contraint les hommes juifs entre 18 et 60 ans et les femmes juives entre 20 et 55 ans d’accepter tout travail qui leur serait offert par l’Office du Travail, organisme belge qui collaborait avec l’ennemi, sous peine d’être déportés en Allemagne dans un camp de concentration.

Quelques-uns iront bien travailler, que ce soit chez nous dans des usines ou en France, mais le but était surtout de petit à petit les identifier et les rassembler pour être bientôt déportés.

En juillet 1942, la caserne Dossin à Malines sera prête pour servir de camp de rassemblement. La déportation des juifs de Belgique pourra bientôt commencer… Le premier convoi de déportés partira de Dossin vers Auschwitz-Birkenau le 4 août 1942.

Cour intérieur de la caserne de Dossin en 1942

Depuis le 28 octobre 1940, les juifs sont tenus de s’inscrire dans un registre spécial.

On en profitait pour marquer leur papier d’identité d’une lettre « j » ou du mot « juif », ce qui permettait de les identifier au premier contrôle. Dans beaucoup de communes, les bourgmestres ont refusé ces registres ou encore de distribuer les convocations pour les étoiles de David.

À Anvers, par contre, et on a envie de finir par dire : comme d’habitude, le bourgmestre ordonne à la police de coopérer. À l’État civil on tient de beaux registres, on distribue bien les étoiles et on appose consciencieusement le mot « juif » ou « joodse » (loi linguistique oblige) sur les cartes.

Août 1942, la nuit entre le 15 et le 16 vient de tomber. C’est le moment choisi par les nazis pour lancer la première grande rafle de la solution finale chez nous. Et devinez qui est là pour donner un coup de main ? La police anversoise qui à elle seule arrête plus de 1 000 Juifs dont près d’un tiers d’enfants. Comme ça a bien marché, on va remettre ça les 28 et 29 août, ce qui permettra d’envoyer 2 000 juifs à Auschwitz. Une dernière rafle aura lieu à Anvers les 11 et 12 septembre.

À Bruxelles, où un peu moins de 4 000 juifs qui avaient eu la mauvaise idée de se présenter spontanément à l’administration viennent d’être déportés, les SS ne sont cependant pas en nombre suffisant pour augmenter leur tableau de chasse. Ils ont beau demander de l’aide à la commune, c’est un « niet » catégorique. La rafle est organisée quand même par la gendarmerie allemande aidée des SS flamands. De cette manière, début septembre 1942, 1 000 juifs sont arrêtés et déportés.

Il y aura encore la nuit du 3 au 4 septembre 1943, une rafle des à Bruxelles et à Anvers.

Les déportations continueront jusqu’au 31 juillet 1944 cependant avec toujours moins de succès car des milliers de juifs se cachent dans des familles et des institutions belges. La résistance est aussi parvenue à fournir de faux papiers à une grande majorité de ceux qui jusqu’à ce moment ont pu s’échapper.

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