Les histoires futiles de Léopold II

Les histoires futiles de Léopold II

Le ridicule ne tue pas

Un jour que le roi s’habillait pour assister au dîner de gala donné à l’occasion des noces d’or du Grand-Duc de Bade, il essaya en vain d’enfiler son uniforme du troisième régiment de chasseurs badois, dont il était colonel honoraire. Il ne l’avait plus revêtu depuis vingt ans et, depuis lors, il avait pris pas mal de poids… Il manquait au moins 50 centimètres de tour de taille. Même déconvenue avec le képi, qui conférait au roi une allure de clown ! « J’assistai à la toilette du Roi, écrit la baronne de Vaughan. Je ne pus m’empêcher de rire aux larmes. Lui s’amusait fort, mais se rendait compte de la nécessité d’agir. La direction de l’hôtel dépêcha un tailleur qui, au galop, mit des pièces aux coutures. Le Roi partit chez le Grand-duc avec son uniforme coupé à la six-quatre-deux et son képi minuscule. Il se sentit cocasse et en rit le premier. Pendant tout le dîner, Léopold II fut joyeux, très en forme et d’une humeur agréable qui n’était pas toujours dans ses habitudes. Il m’avoua la cause de cette gaieté qui avait ravi tout le monde : “Ce qui me mettait en joie, c’était la crainte que ma tunique ne vînt à craquer.” »

Rustrerie de shah, singerie de prince

Début août 1905, La Meuse rapporte que le shah de Perse, Mozaffared-ed-Din, est l’hôte de Léopold II dans sa résidence d’Ostende, avant d’aller visiter l’Exposition universelle de Liège. Une grande fête sera organisée en son honneur place Saint-Lambert. Elle consistera en une parade militaire, avec le concours des musiques militaires et en une démonstration de gymnastique. À cette occasion, illumination générale et grand feu d’artifice, en espérant que ce dernier ne causera pas le même accident que celui du dimanche précédent, tiré de la pointe du parc de la Boverie : de très nombreux carreaux des maisons du quai Mativa ont volé en éclats par suite des détonations des fusées.

Le 10, La Meuse, dans la perspective de sa visite, raconte l’anecdote suivante, relative à son père, telle que l’a racontée son médecin. Lorsque le shah fut invité à Londres par Edouard VII, on lui servit des asperges au cours d’un banquet officiel. Comme il ne connaissait pas ce légume, et encore moins la manière de le manger, il en avala la moitié et jeta l’autre derrière lui. Pour ne pas mettre son hôte mal à l’aise, le prince de Galles lança à terre ses bouts d’asperges et, après lui, tous les convives…

De quoi ça se mêle !

Léopold réside fréquemment dans sa villa d’Ostende. Un jour, le doyen se permet – raconte-on –, de le questionner sur sa liaison scandaleuse avec Blanche Delacroix. « Mais, lui dit le roi, comment savez-vous tout cela, monsieur le doyen ? » « Sire, ce sont des gens dignes de foi qui me l’ont raconté. » « Eh bien, répond le souverain, j’ai fait plus preuve de charité chrétienne. Figurez-vous qu’on m’a dit exactement la même chose sur vous, mais je ne l’ai pas cru. »


Hypocondriaque

En vieillissant, le roi devient un obsédé des microbes, s’imaginant une proie fatale pour la moindre maladie. Ainsi est-il est très malvenu de tousser en sa présence, acte pour lequel tout aide de camp risque une sanction. Nappes et serviettes du palais doivent être bouillies tous les jours. Son journal, qu’il lit au lit, doit être préalablement repassé, pour anéantir toute bactérie…

Le rhume est chez lui une obsession et, croit-on, il a été le premier à constater qu’il est contagieux. Sa maîtresse Blanche Delacroix éternue quand elle veut se retrouver seule et, pour écarter les femmes qui approchent le roi de trop près, elle prétend qu’elles sont enrhumées… Si, au cours d’une audience, quelqu’un éternue, Léopold y met fin sur le champ. « Celui qui a un rhume est stupide, disait-il, car il n’avait qu’à éviter l’enrhumé. » Quand il va se baigner à la mer ou quand le temps est humide, il glisse sa longue barbe dans un sac imperméable qu’il a confectionné lui-même. Un jour, à l’occasion d’une balade dans les bois des environs de Bad-Gastein, par temps pluvieuse, Blanche Delacroix raconte l’apparition comique qu’il lui réserve :

« …quelle ne fut pas ma surprise de le voir sortir de sa calèche, gainé jusqu’aux hanches d’épaisses bottes, et le torse emprisonné dans un suroît que les marins endossent les jours de tempête. Et ce n’était pas du tout ! De son menton pendait une longue poche de toile cirée retenue par des cordons à son large chapeau de feutre.

Devant cet accoutrement je ne pus garder mon sérieux. J’éclatai de rire.

– Mais, me dit le Roi, je suis très satisfait de mon invention. Avec cette poche, la pluie peut tomber, je ne crains rien : ma barbe restera sèche. Vous riez, mais vous ne riez pas quand une femme, après s’être lavé les cheveux, les sèche et les enveloppe dans une serviette. Vous ne riez pas, et c’est pourtant la même chose. Les femmes en séchant leurs cheveux, et moi en garantissant ma barbe de la pluie, nous ne faisons que nous préserver des rhumes ! »

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