Les épidémies de peste noire au XVIIe siècle

Elles furent annoncées, croyait-on, par divers signes : fréquence des avortements chez les femmes enceintes, lamentations plaintives entendues dans les cimetières, vision de cortèges funèbres traversant les nuages, jeux des enfants mimant des enterrements,…

Des boucs émissaires furent accusés de la propagation : des possédés du diable dotés de pouvoirs maléfiques, qui distribuaient des onguents à base de bave de crapauds, de pus, de bubons et de croûtes de plaies pesteuses, le tout mélangé à de la chandelle et de la poix en fonte…

Les hôpitaux fermaient généralement leurs portes. Ceux qui accueillaient les malades étaient vite débordés. Les plus pauvres parmi les contagieux étaient isolés dans des baraquements, en dehors de la ville, abandonnés à leur sort. Les autres devaient quitter leur cité pendant quarante jours ou rester en quarantaine chez eux, fenêtres et portes fermées. Ils pouvaient toutefois circuler en rue la nuit, avec une verge blanche.

Au XVIe siècle, pour signaler aux passants la maison d’un contagieux, il fallut d’abord placer à une fenêtre ou à d’autres endroits visibles une botte de paille et l’y laisser encore deux mois après que la contagion eût cessé. Puis, elle fut remplacée par une croix clouée sur les portes, jusqu’à ce que, au XVIIe siècle, l’obligation de barricader complètement celles-ci se généralisât.

Dans certaines villes, on signalait l’épidémie par un drap noir pendu au clocher des églises.

Puisque, en attendant, le mauvais air était tenu responsable des épidémies, les autorités urbaines prenaient encore d’autres mesures, telles que : interdiction d’abandonner des ordures et d’entretenir des tas de fumier en rue, fermeture des portes, expulsion des étrangers et vagabonds, élimination des animaux les plus malsains, particulièrement porcs, chèvres et volatiles, considérés comme les principaux propagateurs. Prendre des bains, surtout dans les étuves publiques, était jugé suicidaire. La constipation, les excès d’abstinence, d’excitation, de colère, d’exercice ou d’ébriété étaient – pensait-on – des facteurs à risques. On recommandait en outre d’éviter la consommation d’une série d’aliments, tels que poisson, volaille, boeuf, gibier, viande grasse, légumes frais ou concentrés, vivres froids, spongieux ou aqueux. On déconseillait de parler « dans le vent », de dormir la journée et de prolonger le sommeil après le lever du soleil ; de coucher dans le lit d’une femme et de copuler ; de sortir au petit matin, à cause de la rosée.

En rue, il valait mieux avoir en bouche de la racine d’Angelica ou un clou de girofle. En 1615, Philippe de Hurges recommande aussi cet antidote souverain parmy l’air contagieux et corrompu à Liège : tremper une éponge dans du vinaigre d’ail très fort et la placer dans une pomme accommodée pour la sentir. Quant aux bézoards, concrétions calcaires trouvées dans l’estomac de certains animaux, utilisés comme anti-poisons, ils passaient pour prémunir de la peste.

La médecine, impuissante, recourait aux lavements et aux saignées. Lorsque des personnes étaient atteintes, des notes d’apothicaire montrent qu’il fallait d’abord les faire suer en leur administrant de la thériaque de Venise, préparation où entraient une soixantaine d’ingrédients, dont de l’huile d’aspic, d’araignée et de scorpion, de la bave de crapaud et du venin de vipère. Ensuite, comme pour les anthrax aujourd’hui, les bubons étaient mûris pour suppurer plus rapidement. Des onguents jetaient un baume sur les plaies et cicatrices, pourtant indélébiles. Avaler par cuillerées le pus des furoncles ou les inciser et presser sur la plaie un oignon fut fortement déconseillé. Les médecins ordonnaient aussi, dans nos régions, de la julepe, potion adoucissante composée d’eau distillée et de sirop, ainsi que des sudorifiques en forme de bolus. Les pratiques suivantes étaient aussi recommandées : boire son urine le matin ; boire des bouillons à base de poivre moulu, de cannelle et d’épices ; s’exposer au soleil quand on était corpulent ; laisser pendre au plafond un crapaud qui, en desséchant, s’enflait et absorbait le mauvais air, ou appliquer l’animal vivant sur les plaies, jusqu’à ce qu’il meure, car il aspirera le poison à travers la peau, puis le jeter et le remplacer ; maintenir sur la poitrine, dans le même but, une fossette au coeur, boîte finement percée contenant des araignées, ou laisser courir sur le corps ces bestioles, de préférence de grande taille, comme les mouchetées. En cas de délire ou d’inflammation du cerveau, il fallait découper en deux un jeune pigeon ou chiot d’un mois et le presser encore chaud sur le crâne. Un morceau de pain chaud placé sur les lèvres des mourants était censé absorber le poison qui s’y formait.

Pour approcher les malades, les médecins revêtaient une tenue étrange : le corps était protégé par une longue toge, le visage par un masque aux yeux de cristal et au long nez imbibé de parfum. On imagine l’effroi des malades à cette apparition !

En moyenne, durant les deux grandes épidémies de peste du XVIIe siècle, le tiers de la population des villes disparaissait. À Tournai, la contagion de 1667-1668 fera entre 4 000 et 5 000 victimes. Pourtant, quantité de mesures y ont été prises pour tenter de l’enrayer, comme encore celle-ci : interdiction de la vente de moules ; restriction de la consommation de poisson, plus vite putréfié que la viande ; nettoyage des rues et maisons ; élimination des porcs, lapins, abeilles et pigeons retenus à domicile, expulsion des vagabonds, suppression des bénitiers et de certaines cérémonies du culte trop grouillantes. Du point de vue thérapeutique, le médecin Cresteau conseille, après avoir aéré et parfumé la maison du pestiféré, de rester 7 à 8 heures sans dormir dès l’apparition des bubons, puis avaler une potion composée de thériaque vieille de plusieurs années, d’émeraude et d’améthyste pulvérisées et dissoutes dans de l’eau de chardon béni, du jus de citron, de l’eau de rose, des scorsonères et du vin blanc. En outre, les chirurgiens préconisent de brûler, tailler, inciser, panser à l’huile ou à la poix bouillante les bubons.

Dans un livre publié en 1709, le carme et réputé compositeur pour orgue Lambert Chaumont, curé à Huy, suggère au clergé une batterie de mesures de prudence pour administrer les sacrements aux malades. Pour celui du baptême, attachez au bout d’un bâton de cinq ou six piez une coquille, ou cüillère […], avec quoy vous pourrez par une fenestre ou par une porte, sans vous approcher de près et beaucoup de péril, verser l’eau sur la tête de l’enfant… Pour la confession, le prêtre fera placer un réchaud entre lui et le malade pour brûler l’air contaminé par son haleine. Le plus souvent, dans la pratique, on se limitait à allumer un cierge. Pour l’administration du viatique, Chaumont conseillait de tendre l’hostie au moribond sur une fourchette en argent à double spatule et à long manche. D’autres ecclésiastiques jugeaient plus simple d’emballer l’hostie dans un papier et de la faire parvenir au malade par un assistant, ou encore de la glisser dans un morceau de pain frais et placer le tout à un endroit accessible. Malgré tout, la mortalité des religieux fut considérable, en particulier chez les capucins, qui se dévouèrent corps et âme pour venir en aide aux malades.

Dans la principauté de Liège, lorsqu’une maison était vide de son ou ses pestiféré, les renairesses s’y enfermaient pour désinfecter les lieux et les meubles par fumigation pour purifier l’air de ses miasmes, après avoir bouché toutes les ouvertures. Elles chauffaient une pierre ou une brique arrosée ensuite de vinaigre, de vin ou d’eau de rose. Elles brûlaient différents mélanges de bois, de cornes de bête, d’ongles, de vieux cuirs, de poils, de feuilles d’arbre et d’herbes odoriférantes, de poudre à canon… Chacun avait sa recette, jalousement gardée ou révélée en échange d’une importante somme d’argent. En guise d’honoraires, elles avaient le droit de revendre à leur profit le mobilier désinfecté et même d’hériter des hardes des disparus, danger qu’elles ne soupçonnaient bien sûr pas.

À Tournai, on recourt, mais aussi à titre préventif, au parfum anti-pesteux du Père Augustin Léon, qui compte diverses variétés pour arriver à désinfecter complètement une habitation. Entrent dans les compositions : soufre, encens, camphre, sel, romarin, menthe, genévrier, vinaigre, poudre à canon…

La plupart des testaments des pestiférés étaient dictés la nuit à un notaire, en présence de quelques témoins, par une fenêtre ouverte, derrière la porte de la chambre du mourant ou de l’autre côté d’une rivière. Toutefois, en temps d’épidémie, le testament olographe, sans témoin ni notaire, avait pleine valeur. La présence non obligatoire de ce dernier déboucha sur de nombreuses contestations. Ainsi, ceux qui recueillaient les dernières volontés des mourants s’attribuaient parfois l’héritage aux dépens des héritiers légitimes. Si les héritiers désignés venaient à mourir à leur tour, s’engageaient des batailles juridiques qui faisaient l’affaire des avocats. Certaines personnes bien portantes léguaient leurs biens à des religieux pour obtenir, par leurs prières, la grâce d’être épargnés par la maladie ; les héritiers, complètement dépossédés, attaquaient ensuite ces ecclésiastiques.

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