Les ballets roses de l’« affaire Pinon »

Les ballets roses
de l’« affaire Pinon »

En 1979, les « ballets roses » vont faire leur entrée dans l’Histoire de la Belgique pour ne plus vraiment la quitter. Pour rappel, cette expression de « ballets roses » a été inventée vingt ans plus tôt par le journaliste Georges Gherra de France-Soir à l’occasion d’une affaire française, pour désigner des orgies sexuelles organisées par des adultes aux dépens de jeunes filles. Une affaire qui éclata en France en 1959, lorsqu’on découvrit que des policiers et des notables, ainsi que le président de l’Assemblée nationale française, organisaient des orgies sexuelles avec des mineures à partir de treize, quatorze ans. Au programme de ces fêtes libertines, il y avait entre autres des séances de strip-tease, des séances de poses dénudées et, ce qui donna son nom à la chose, certaines chorégraphies érotiques.

Retour chez nous. En cette fin d’été 1979, rien ne va plus dans le couple Pinon. André, le mari, psychiatre de son état, est persuadé que sa femme le trompe. La rupture devient inévitable. Une procédure est engagée devant le juge de la jeunesse de Nivelles pour déterminer à qui reviendra la garde des enfants. Pinon met de plus en plus la pression à sa femme, Jeanne, pour obtenir des aveux sur d’éventuelles relations extraconjugales. Elle finit par craquer et lui avoue avoir pour amant un médecin, et même participer quelquefois à des partouzes organisées dans la villa de celui-ci. À ces partouzes prendraient part des gens importants et des mineurs. Persuadé que les infidélités de sa femme lui permettraient de faire pencher la balance en sa faveur pour l’obtention de la garde des enfants, il décide, avec la complicité d’un détective privé, de réinterroger sa femme sur ses aveux et d’enregistrer ceux-ci à son insu.

Si le plan fonctionne, les aveux sont moins complets qu’initialement, sa femme se contentant d’avouer participer à des partouzes. Mais pour Pinon, c’est largement suffisant pour convaincre le juge de la jeunesse. Début septembre, André Pinon débarque au commissariat de Rhode-Saint-Genèse pour signaler que son domicile a été cambriolé. Il explique que rien n’a été volé et commence alors à expliquer ce que sa femme lui a avoué, car pour lui il n’y a aucun doute, ce sont les enregistrements contenant les précieux aveux que sont venus chercher les cambrioleurs à son domicile.

Il explique qu’il a très peur et pense que sa vie est en danger. Suite à cette déposition, une enquête est ouverte pour faire la clarté sur ces graves accusations. Le procureur du Roi, en charge de l’affaire, demande à ce que soit entendue l’épouse qui, bien entendu, nie tout.

 À la même période, le corps d’une femme est retrouvé sans vie dans une chambre de l’Holiday Inn de Machelen. Une boîte de somnifères vide à ses côtés laisse penser qu’il s’agit là d’un suicide et ce sera aussi l’avis du Parquet de Bruxelles. Mais voilà, cette femme n’est pas n’importe qui : il s’agit de l’épouse d’un médecin que madame Pinon avait dit faire partie des partouzeurs. Pour l’époux Pinon, cette mort suspecte est la preuve que quelque chose ne tourne pas rond. Sa femme ayant obtenu la garde des enfants, il s’inquiète de plus en plus pour eux, qui pourraient selon lui finir par se retrouver dans ces parties fines. Pinon rencontre une autre femme engagée aussi dans une procédure de divorce gérée par le même juge de la jeunesse que lui. Elle lui confie avoir participé aux mêmes partouzes que son ex-femme et elle cite des noms de participants, toutes des personnes en vue, qui vont de la famille royale jusqu’à des hommes politiques, en passant par un général de gendarmerie et des hommes d’affaires influents.

 

Elle confirme aussi la présence de mineurs, précisant que deux d’entre eux se sont suicidés après avoir participé à ces parties fines. En 1980, aucun élément concret n’étant apparu lors de l’enquête, l’affaire est classée sans suite sans que, malgré tous leurs efforts, le moindre mineur soi-disant impliqué n’ait pu être identifié par la police. Constatant que rien ne bouge pour dénoncer le scandale, Pinon décide de contacter la presse. Il s’adresse d’abord à Nouvelle Europe Magazine, qui est étiqueté extrême droite. Mais le comité de rédaction, dubitatif quant à la véracité des faits relatés par Pinon, préfère s’abstenir du scoop. Il s’adresse alors à l’autre extrémité, au rédacteur en chef de la revue Pour, Jean-Claude Garot. 

Le 5 juillet, un incendie réduit en cendres les locaux et l’imprimerie du journal Pour. Pour Garot, il ne fait aucun doute que c’est lié à l’affaire Pinon. Il sera démontré plus tard que l’incendiaire faisait partie d’un mouvement d’extrême droite, Front de la Jeunesse, dont les motivations étaient d’empêcher la revue de dévoiler l’existence des camps d’entraînements de l’extrême droite en Belgique.

Sur le moment, en réaction, Garot remet le fameux dossier à la justice.

Depuis, l’affaire Pinon est devenue une sorte de monstre du Loch Ness qui pourrait faire ou aurait pu (car les prétendus participants sont soit à la retraite, soit décédés) faire exploser la Belgique du jour au lendemain s’il était révélé. Mais comme on n’a au final jamais rien su prouver, elle reste à l’état de légende urbaine.

Malgré cela, depuis son apparition, à chaque fois qu’une affaire inexpliquée ou inexplicable impliquant le monde des affaires et le monde politique défraye la chronique, le dossier Pinon n’est jamais loin. Ce fut par exemple le cas pour les Tueries du Brabant. Certains meurtres auraient été commis pour faire disparaître des témoins gênants ou ayant connaissance du fameux dossier quand ce n’est pas pour récupérer les cassettes vidéo des orgies décrites dans l’affaire Pinon.

En 1990, le dossier Pinon refait encore surface. Alors que la « Commission d’enquête sur le banditisme et le terrorisme », devant faire le point sur les grands dossiers belges en la matière (CCC, Tueries du Brabant,…), bat son plein, une émission de VTM permet au député Hugo Coveliers (Volksunie à l’époque) de redonner vie à la théorie de « ballets roses ». Durant l’émission, une prostituée accuse en les nommant un certain nombre de personnalités d’avoir participé à des partouzes avec des mineurs. Les propos de la jeune femme sont soutenus par Coveliers qui les estime fiables. Il exprime même son désir de réclamer une enquête sur le sujet. L’accusatrice est cependant rapidement identifiée et sa parole aussi vite mise en doute. En effet, il s’avère qu’elle est connue des gendarmes comme une mythomane et qu’elle avait été condamnée en 1977 pour faux témoignage. Elle finit par revenir sur ses déclarations expliquant qu’elle n’avait rien vu, mais entendu dire que… L’affaire se dégonfle encore une fois comme un ballon de baudruche.

Mais cela ne refroidit pas la Commission. On se souvient soudain qu’une affaire où on évoqua le même genre de faits que ceux-ci avait été ouverte en 1981. Et revoilà le dossier Pinon. Après plusieurs séances à huis clos, la commission décide de demander au ministre de la Justice d’examiner cette affaire et de voir s’il n’existe aucun lien avec l’affaire des Tueries du Brabant. Mais cette remise en lumière du dossier n’apporte rien, on ne prend même pas la peine de réentendre les protagonistes enregistrés. Bien plus tard, on reparlera à nouveau de « ballets roses », les témoins porteront cette fois-ci des noms de code X1, X2, X3… Mais c’est une autre histoire.

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