Le Père De Smet, l’ami belge de Lincoln et de Sitting Bull

Le Belge ami de Lincoln et de Sitting Bull

Josse De Smet tient un commerce très prospère. Pierre-Jean, son cinquième enfant, est le second fils qu’il a eu avec sa deuxième femme, Marie-Jeanne Buydens. Il est né le 30 janvier 1801 à Dendermonde, en Flandre-Orientale. Pierre-Jean est d’abord éduqué par des précepteurs dans la maison paternelle puis dans différents collèges. À l’âge de 19 ans, il entre au petit séminaire de Malines et, au mois d’août 1821, part aux États-Unis pour réaliser son noviciat à White Marsh dans le Comté de Baltimore, dans l’État du Maryland. Il avait en effet été séduit par les récits d’un prêtre local missionnaire au Kentucky, revenu au pays en 1821 pour y recruter des collaborateurs. Il est ensuite envoyé à Florissant, au nord de St Louis dans le Missouri, pour s’occuper de jeunes « Peaux-Rouges » Algonquins, c’est là qu’il est ordonné prêtre le 23 septembre 1827. De 1824 à 1830, il se familiarise avec les us et coutumes indiennes tout en apprenant déjà les rudiments de plusieurs de leurs langues. Cela avant d’être nommé économe du collège de St Louis, un établissement qui est devenu aujourd’hui l’Université de St Louis. Pierre-Jean, devenu le père De Smet, souffre depuis plusieurs années déjà d’une infection de la peau qui l’incommode beaucoup. Les médecins de l’endroit lui conseillent d’aller passer quelques temps dans son pays. Il retourne donc dans la toute nouvelle Belgique en septembre 1833 pour ne revenir à St Louis qu’en novembre 1837. C’est pendant ce séjour en Belgique qu’il comprend ce qu’il veut faire de son sacerdoce : recruter des hommes, de l’aide matérielle et de l’argent pour la mission du Missouri. Peu après son retour aux États-Unis, il est nommé missionnaire chez les Pottawatomies à Council Bluffs, dans l’Iowa. Il se rend aussi chez les Sioux de la tribu des Yanktons dans le Dakota du Sud et chez les Santees de Caroline du Sud. Il réalise tous ces voyages dans le but de négocier la paix entre ces tribus. À partir de ce moment, il est souvent choisi par les autorités ecclésiastiques et les autorités américaines comme porte-parole auprès des chefs indiens, car il est un des rares Européens à parler plusieurs de leurs langues et à jouir de la confiance des chefs de tribus.

Le Père De Smet

Du 30 avril au 31 décembre 1840, De Smet fait son premier voyage vers les montagnes Rocheuses afin d’explorer le pays, c’est-à-dire étudier les possibilités d’établir des missions chez les Indiens de cette région, principalement chez les Têtes-Plates. Il conçoit le projet, bien chimérique, de fonder un réduit semblable à ceux que les jésuites avaient établis au Paraguay au XVIIe siècle, une mission où l’homme blanc ne pénétrerait jamais. En 1841, accompagné de deux autres pères et de trois frères, il atteint la vallée de la Bitterroot où il fonde la mission Sainte-Marie qui deviendra Stevensville dans le Montana. Au printemps suivant, il visite les premiers missionnaires catholiques établis à fort Vancouver, les pères François-Norbert Blanchet et Modeste Demers, pour préparer avec eux l’évangélisation de l’Oregon.

Comme il faut du personnel, du matériel et des moyens, De Smet retourne en Europe solliciter l’aide nécessaire. Il traverse donc une nouvelle fois l’Atlantique avant la fin de l’année et regagne ensuite la côte nord-ouest du Pacifique en passant par le cap Horn pour atteindre le fleuve Columbia le 31 juillet 1844. Il amène avec lui cinq jésuites et un groupe de religieuses de Notre-Dame de Namur. Il consacre les douze mois suivants à des visites de la mission Sainte-Marie et à en fonder de nouvelles.

Guerriers Pieds-Noirs à cheval

C’est l’époque où, de fleuves en fleuves et de montagnes en montagnes, les Indiens sont refoulés vers l’Ouest. La conquête de l’Ouest se fait à l’aide d’alcool, de carabines et de contrats iniques. Les Indiens perdent leurs terres et se guerroient sans merci. De Smet plante d’abord sa tente parmi eux, ouvre des écoles et obtient de nombreuses tribus qu’elles cessent leurs raids meurtriers. Convaincu cependant que l’existence même de ces missions repose sur une paix durable entre les Têtes-Plates et les Pieds-Noirs, leurs ennemis jurés, il pense de plus en plus à visiter la région de ces derniers. La grande aventure commence cependant lorsque, en 1838, une délégation des Têtes-Plates vient demander la présence des « Soutanes noires » parmi eux. De Smet répond à l’appel et part en avril 1840 dans les montagnes Rocheuses du nord. Il entreprend un important voyage qui doit le conduire jusque dans les territoires de la Compagnie de la Baie d’Hudson, une entreprise fondée à Londres en 1670 pour la traite des fourrures dans la baie d’Hudson. Il circule dans toute la région des montagnes Rocheuses, contactant diverses tribus, obtenant une trêve entre les féroces Pieds-Noirs et les Têtes-Plates, visitant les Sioux et leur promettant de revenir. 

De Smet, bien entendu, leur parle du « Grand-Esprit » et tente de les sédentariser. De nombreuses lettres envoyées à des parents et amis en Belgique offrent souvent des descriptions pittoresques ou effrayantes des coutumes rencontrées parmi ces divers groupes. Une première édition de son « Voyages au pays des Rocheuses » le fait mieux connaître en Belgique. Il continue à rechercher des bandes de Pieds-Noirs et erre pendant des jours sans succès dans ces immensités désertes. Ces longues pérégrinations dans les régions sauvages constituent le lien important qui unit le père De Smet à l’histoire du continent américain. Il n’a toutefois pas réussi à atteindre son but puisqu’il n’a rencontré qu’une seule petite bande de Pieds-Noirs.

 

Le père De Smet et ses compagnons atteignent Jasper House en suivant le sentier tracé par les chasseurs de fourrure de la Compagnie de la Baie d’Hudson et en passant par la rivière Saskatchewan-Nord. De là, ils empruntent la rivière Wood pour finalement rejoindre le fleuve Columbia après avoir enduré d’atroces souffrances. Trois semaines plus tard, ils arrivent au fort Colville (près de l’actuel Kettle Falls) et, avant la fin du mois de juin, ils sont au fort Vancouver. Le père De Smet repart visiter les établissements religieux le long de la rivière Willamette et remonte ensuite vers les hautes terres avec des approvisionnements pour les missions de cette région. Il retourne enfin à Sainte-Marie sur la Bitterroot, la première mission qu’il avait fondée puis retourne ensuite à St Louis. Ces longs voyages des années 1845 et 1846 terminent l’œuvre missionnaire du père De Smet dans les régions des Rocheuses. Pendant les dernières années de sa vie, il fait plusieurs voyages en Europe : en tout il traverse l’Atlantique dix-neuf fois, et, bien qu’il ait quitté les missions, il s’en occupe encore énormément. 

Tatanka Yotanka, ou Sitting Bull. Image rendue publique par la Bibliothèque du Congrès des États-Unis

Entre 1851 et 1870, il visite encore plusieurs fois les territoires du haut Missouri pour le compte du gouvernement américain. Sa réputation d’« indigénophile » est déjà telle qu’il est invité comme médiateur à la grande conférence de Fort Laramie, en 1851, où les représentants du gouvernement américain négocient avec les chefs Cheyennes et Sioux l’autorisation du passage de colons blancs se rendant vers l’ouest. Les incursions et installations sauvages des chercheurs d’or créant de nouvelles tensions, dégénérant souvent en conflits armés, De Smet est de nouveau mis à contribution par le Général William Harney pour « pacifier » les tribus indiennes. En 1862, l’accord de Fort Laramie n’étant pas respecté, les Sioux prennent le « sentier de la guerre ». Un bon millier de colons sont assassinés. La situation est grave car les États-Unis sont en pleine guerre civile. Abraham Lincoln, que De Smet rencontre deux fois, lui demande de nouveau d’intervenir. D’abord torpillée par les généraux sur le terrain, cette mission spéciale change lorsque la rébellion se répand : en 1867 Cheyennes et Pieds-Noirs se sont joints aux Sioux. De Smet devient alors envoyé plénipotentiaire. À la conférence de Fort Rice, en juin 1868, le père De Smet connaît peut-être le plus beau moment de sa vie quand, accompagné uniquement de chefs amis et de quelques braves, il entre dans le camp du redoutable Tatanka Yotanka, mieux connu sous son nom américanisé de « Sitting Bull ». Il le persuade d’accepter le traité de Fort Rice qu’un observateur juge « le plus complet et le plus sage qui ait été conclu jusque-là avec les Indiens de ce pays ». Il obtient ainsi de nouveau la paix car pour le chef légendaire des Sioux et pour beaucoup d’autres, De Smet est le seul Blanc « dont la langue n’est pas fourchue ». Dans leurs rapports, les généraux américains sont admiratifs et notent que les Indiens ont une réelle affection pour celui qu’ils surnomment « Soutane noire ». Malheureusement, après la rupture du traité par les États-Unis suite à la découverte d’or dans les Black Hills, Sitting Bull reprend les armes et dirige un nouveau soulèvement sioux. Il est rejoint par des tribus cheyennes et, ensemble, ils anéantissent les hommes du général Custer à la célèbre bataille de Little Big Horn le 25 juin 1876.

Le Père De Smet ne voit pas tout cela, il se rend une dernière fois chez les Sioux en 1870 et meurt trois ans plus tard en 1873.

Il est inhumé à Florissant où, 50 ans plus tôt, il avait terminé son noviciat.

Trois villes américaines portent le nom de Pierre-Paul De Smet : en Idaho, au Dakota du Sud et au Montana.

En 1967, les jésuites du Missouri ouvrent un collège De Smet à Crève-Cœur (Missouri).

 

La ville de Dendermonde lui a élevé une statue.

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