la N.V.A. ? Juste du neuf avec du vieux

La N.V.A. ? Juste du neuf avec du vieux

Ce sont les Flamands qui ont commencé à ne plus jouer le jeu de la Belgique, les Wallons se sont vite rendu compte que la situation se renversait…ils ne se sont pas fait prier pour la dénoncer…

Jules Destrée fut d’abord libéral, avant de devenir un des ténors du POB, ancêtre du parti socialiste. Il fut le chantre de la minorité wallonne. Ministre dans le cabinet de grande coalition de l’après-guerre, il fonda l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique et outre le fait d’être parvenu à créer la polémique sur son antisémitisme pourtant notoire, il écrivit en 1912 la fameuse Lettre au Roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre dans laquelle il affirme de manière péremptoire au roi :

« …Et maintenant, laissez-moi Vous dire la vérité, la grande et horrifiante vérité : il n’y a pas de Belges. J’entends par là que la Belgique est un État politique, assez artificiellement composé, mais qu’elle n’est pas une nationalité. »

Peu importe la véritable finalité qui était celle de Destrée en rédigeant cette lettre. Par contre, ce qui est absolument fou c’est le constat qu’il fait d’une situation qui existe déjà à l’époque, et que l’on oublie trop souvent de rappeler, feignant de croire que l’attitude flamande n’est le fait que de quelque nouveau parti extrémiste.

Ce texte est encore aujourd’hui d’une actualité « mordante » du moins pour ceux qui veulent encore croire à la Belgique. Voyons à travers des extraits ce que dit cette lettre incroyable que l’on croirait venue du futur.

Jules Destrée (deuxième en partant de la droite) lors d'une session de la Commission internationale de coopération intellectuelle

(…) Équilibre que Votre charge Vous convie à réaliser, équilibre difficile et délicat, mais qui est la condition même de l’unité et de l’avenir de Votre royaume.

Or, au lendemain de 1830, l’équilibre fut rompu au détriment des Flamands.

Mais les Wallons sont généreux et lorsqu’une iniquité leur est signalée, ils oublient les injures et s’associent aux Flamands pour la réforme réclamée. Successivement, les Flamands virent ainsi faire droit à leurs protestations ; moi-même, à certains jours, je fus parmi les artisans de cette justice. (…)

(…) La première révision constitutionnelle donna au mouvement flamand une extraordinaire puissance.

(…) À l’heure présente, le mouvement enivré de ses succès et de sa force populaire a atteint son but. Il le dépasse. Il menace la Wallonie.

(…) C’est un phénomène que constate fréquemment le spectateur de nos agitations humaines : actions et réactions se succèdent, également excessives et injustes, pareilles à un pendule oscillant, incapable de s’arrêter au point mort de l’équité absolue. Peut-être aussi est-il vain, en semblable matière, de chercher la conciliation et la justice : la satisfaction des uns ne peut sans doute être obtenue qu’au prix du mécontentement des autres. Les Flamands, d’un effort patient et vigoureux, ont rejeté le fardeau inique et voici maintenant que les Wallons le sentent peser sur leurs épaules.

Ce qu’ils nous ont déjà pris ? Je vais essayer de Vous l’indiquer.

Ils nous ont pris la Flandre, d’abord.

Certes, c’était leur bien. Mais c’était aussi un peu le nôtre. Confiants dans l’illusion belge, nous avions appris à considérer comme des expressions de l’âme de nos aïeux, la fierté farouche des beffrois et des hôtels de ville, l’élan religieux des églises du beau pays de Flandre. Si les hasards de la vie nous amenaient à nous déplacer, nous nous retrouvions un peu chez nous à Gand ou à Anvers. Hélas ! ces temps ne sont plus et s’éloignent de nous chaque jour.

L’ancien principe de la nationalité des lois a fait place à leur régionalité, en matière de justice ou d’enseignement. Il y a, dans les détours de leurs textes, mille prétextes à vexer les Wallons qui s’égarent en Flandre. Des municipalités hargneuses vis-à-vis de nous, ont encore renchéri. La revendication : « In Vlaanderen vlamsch », légitime aussi longtemps qu’elle se bornait à réclamer l’usage facultatif du flamand en Flandre, est devenue un cri de guerre signifiant l’usage exclusif de la langue locale.

Panneaux de signalisation vandalisés aux alentours de St-Vith - La traduction française est ici taguée

À Anvers, un Wallon écrit à l’administration communale, en français ; on lui retourne sa lettre avec la mention impérative et dédaigneuse : « In vlamsch ». Les établissements publics sont flamands. Les petits fonctionnaires, avec lesquels le public est en rapport, vous répondent agressivement en flamand. Nous nous sentons actuellement en Flandre des étrangers, au moins autant qu’à La Haye ou à Amsterdam. Et nous sommes parfois moins bien traités que des étrangers. Des industriels de Charleroi m’ont rapporté que l’on avait au port d’Anvers, infiniment plus d’attentions pour les Allemands que pour eux. J’ai demandé au Musée d’Anvers, le catalogue de l’art ancien. Il n’y en a pas en français ! Mais il y a une édition flamande et une édition… allemande.

On pourrait citer des milliers de ces menus faits, révélateurs de cet étrange état d’esprit, l’affirmation systématique de la culture flamande, la proscription systématique de la culture française.

L’injure, la menace, l’intimidation, la contrainte sont incessantes. Les Flamands qui veulent garder contact avec la civilisation française sont méprisés et bafoués. Le couronnement de cette entreprise, poursuivie avec leur inlassable ténacité, sera l’extinction de ce dernier foyer de culture française en Flandre, l’université de Gand.

Ils nous ont pris notre passé.

Nous les avons laissés écrire et enseigner l’histoire de la Belgique, sans nous douter des conséquences que les traditions historiques pouvaient avoir dans le temps présent. Puisque la Belgique, c’était nous comme eux, qu’importait que son histoire, difficile à écrire, fût surtout celle des jours glorieux de la Flandre ? Aujourd’hui, nous commençons à apercevoir l’étendue du mal. Lorsque nous songeons au passé, ce sont les grands noms de Breydel, de Van Artevelde, de Marnix, de Anneessens qui se lèvent dans notre mémoire. Tous sont Flamands ! Nous ignorons tout de notre passé wallon. C’est à peine si nous connaissons quelques faits relatifs aux comtes du Hainaut ou aux bourgmestres de Liège. Il semble vraiment que nous n’ayons rien à rappeler pour fortifier les énergies et susciter les enthousiasmes. (…) Il est assez frappant qu’à Liège, comme dans le Hainaut, on réclame maintenant des histoires régionales, dont on sent la nécessité.

Mais quelle que soit mon incompétence sur ces sujets controversés, un aspect significatif des dernières commémorations me paraît à noter. Il semble que le patriotisme rétrospectif des Flamands ne se plaise qu’à célébrer des massacres de Français… La « bataille des Éperons d’or » si éloignée (1302 !) est devenue extraordinairement populaire parce qu’elle fut l’écrasement de la chevalerie française. Toute la Campine fut soulevée en 1898 pour le centenaire de la « Guerre des paysans » ; on exalta avec raison l’héroïsme de ces pauvres gens révoltés par l’amour de leur terre et de leur foi, mais dans tout cet élan, dans tous ces discours, on découvrait le sentiment mauvais de la haine de la France, la malédiction de l’étranger. Certains fanatiques flamingants, quand ils vous parlent d’histoire, semblent toujours regretter le temps où la mauvaise prononciation de « Schild en vriend » était punie de mort immédiate.

La bataille de Courtrai (1302) ou Bataille des éperons d'or par Nicaise de Keyser (1836)

Ils nous ont pris nos artistes.

Le maître pathétique de Tournai, « Roger de la Pasture », l’un des plus grands artistes du XVe siècle, est incorporé parmi les Flamands sous le nom de Vander Weyden. L’art flamand brille d’un éclat radieux. L’art wallon est ignoré.

Je me souviens, Sire, de l’honneur que j’eus de guider Sa majesté la Reine et Vous dans cette exposition des Beaux-arts de Charleroi qui fut un essai de réagir contre l’erreur courante. Je n’ai pas oublié Vos étonnements et Votre attention bienveillante et compréhensive. Vous avez voulu tout voir. Vous avez voulu apprécier la vérité et l’éclat de ces fleurs de Wallonie.

On peut discuter encore s’il y a un art wallon ; on ne peut plus contester qu’il y ait eu des artistes wallons, à toutes les époques de l’histoire. La filiation de « Jacques Dubroeucq » et de « Victor Rousseau » est saisissante si l’on joint à ces deux noms ceux de « Beauneveu » et de « Constantin Meunier », on peut affirmer, contrairement à l’opinion généralement répandue, que nous ne sommes pas exclusivement des peintres. Je m’illusionne sans doute, en raison de la part que j’y ai prise, sur la portée d’une démonstration comme celle qui fut tentée à Charleroi ; mais j’espère qu’elle a rendu à la Wallonie conscience de son glorieux passé méconnu et stimulé ainsi les possibilités de l’avenir.

Ils nous ont pris les emplois publics.

Partant de ce principe juste : que le fonctionnaire est fait pour le citoyen et non le citoyen pour le fonctionnaire, ils ont exigé que tout agent de l’État connût les deux langues, en Flandre d’abord, dans tout le pays ensuite. À de multiples reprises, cette exigence s’est manifestée, toujours plus impérieuse. Sa conséquence directe, c’est l’exclusion des emplois publics de ces deux millions de Wallons qui ne comprennent que le français. Nul n’est forcé d’être fonctionnaire, me dira-t-on, et si le Wallon veut le devenir, qu’il apprenne le flamand ! Le raisonnement est plausible en théorie, mais il ne tient pas compte des faits. Le premier fait, qu’on peut déplorer, mais qu’on doit constater, c’est la répugnance que le Wallon a pour l’étude de la langue flamande. Le second fait, c’est que les Flamands des grandes villes se trouvent, pour apprendre le français, dans des conditions infiniment plus favorables que le Wallon désireux d’apprendre le flamand. Le troisième fait, enfin, c’est qu’il est déraisonnable d’exiger le bilinguisme de toute une série de fonctionnaires et d’agents qui ne sont pas en rapports directs et fréquents avec des populations bilingues. La vérité, c’est qu’il serait à souhaiter que le juge d’instruction, le gendarme chargé de faire une enquête, le juge de paix connussent les patois de leur région ; mais qui donc se souciera de cette application saine et pratique de la règle que j’énonçais au début de ce paragraphe ? Ce sont des examens sur le néerlandais littéraire qu’on exigera des fonctionnaires, des plus modestes agents d’autorité ou de gestion, d’un garde-barrière d’un passage à niveau en Wallonie, du greffier du conseil de prud’hommes d’appel ! Et ainsi quand la rigueur des principes théoriques remplace la bonne volonté, l’exigence devient blessante et vexatoire et les Wallons se trouvent et se trouveront de plus en plus écartés, en Flandre et en Wallonie même, des emplois publics.

Roger de la Pasture, incorporé en tant que Rogier van der Weyden à la culture flamande

Ils nous ont pris notre argent.

Nous payons tribut, ainsi qu’un peuple vaincu. Ceux qui s’occupent de ces calculs ardus ont maintes fois prétendu que la Wallonie payait plus à l’État qu’elle n’en recevait. Ils ont comparé les dépenses faites par le Trésor public dans le nord et dans le sud du pays. Ils ont dit que la Wallonie était sacrifiée. Ce sont des questions complexes et d’une étude malaisée. La comptabilité étant unique, il est périlleux de distinguer dans les recettes la part des deux régions, et quant aux dépenses, il ne suffit évidemment pas qu’une dépense soit faite en Flandre pour qu’elle soit au bénéfice exclusif des Flamands. Je n’ai pas besoin, par exemple, de rappeler l’intérêt énorme de nos centres industriels à voir aménager convenablement le port d’Anvers. Mais quoi qu’il en soit, des observations quotidiennes peuvent nous démontrer que la Wallonie est moins bien traitée que la Flandre. Il suffit de récapituler les grands travaux publics en souffrance ou en projet. Il suffit d’aller de Bruxelles à Anvers, de Bruxelles à Charleroi, et de comparer. Il suffit d’opposer les gares de Charleroi et de Liège, à la gare de Bruges, comme une église, ou à la gare d’Anvers, comme un palais. Il suffit d’écouter chaque hiver les lamentations de nos industriels wallons à qui l’État ne fournit point les wagons réclamés. Il suffit de rappeler les malencontreux projets de détournement des grands express internationaux. D’autre part, on ne peut oublier que par le jeu des droits protecteurs, la cherté des vivres, des produits de l’élevage et de l’agriculture, fait le désespoir de la ménagère wallonne et la joie du propriétaire et du paysan flamand. C’est encore une façon, et cruelle, de payer tribut ! Enfin, la différence de traitement entre l’exposition de Charleroi et l’exposition de Gand laisse une impression douloureuse. A l’une, le bénéfice problématique d’une tombola et une promesse d’une garantie de 400 000 francs ; dans le second cas, rien ne fut demandé à la province de Flandre orientale.

Ils nous ont pris notre sécurité.

Nous ne sommes plus à l’aise vis-à-vis d’eux ; nous sommes, à cause d’eux, inquiets vis-à-vis de l’étranger. Nous la sentons chaque jour approcher comme un fléau terrible, la guerre entre nos voisins du sud et de l’est et nous savons par des révélations récentes, que nous sommes le chemin de l’invasion et impuissants à l’empêcher. La répugnance des Flamands à accepter le devoir militaire, le « niemand gedwongen soldaat » (Traduction : personne ne peut contraindre un soldat), la veulerie des gouvernants fait que nous n’avons pas préparé la résistance nécessaire. Les Flandres resteront loin des conflits. Anvers, réduit national, s’il n’est pas aux mains des Allemands qui y sont déjà installés en maîtres, laissera passer l’orage à l’abri de ses forts, mais nous, Wallons, nous serons livrés aux horreurs des combats. Les vallées de la Meuse et de la Sambre sont un chemin commode pour l’envahisseur (on le lui facilite encore par la construction d’un chemin de fer de Malmedy à Stavelot !) et les grandes plaines de Fleurus, un merveilleux champ de bataille. Ah ! si, au lieu de nous demander chaque année des sacrifices énormes pour un vain simulacre de protection, on nous laissait libres d’organiser nous-mêmes la garde de nos frontières ! La seule Wallonie, avec le système suisse de la nation armée, pourrait mettre en ligne une armée de 200.000 hommes, supérieure à tout ce que pourrait donner l’organisation militaire de la Belgique entière à l’heure actuelle ; et cette armée, ayant à défendre ses foyers et sa terre, aurait une cohésion et une énergie morales incomparables dans l’action défensive !

Ils nous ont pris notre liberté

(…)

L'horloge de la gare d'Anvers

Cette situation est évidemment grave. Elle révèle l’opposition des idéaux du Nord et du Sud. L’on n’y conçoit pas de même les directions à donner aux affaires publiques. Bien plus, les mêmes mots essentiels : liberté, justice, prospérité nationale, divisent, au lieu de rapprocher, puisqu’ils ont un sens différent selon qu’on les prononce en Flandre ou en Wallonie. La petite presse électorale est particulièrement édifiante à cet égard ; alors que dans les milieux de culture intense et contradictoire, la discussion ne porte que sur l’appréciation des faits, et non sur les faits eux-mêmes, les malheureux lecteurs de ces petits journaux ont du monde extérieur la vision la plus faussée qu’on puisse imaginer. Un paysan de la Campine et un ouvrier wallon ont ainsi chacun des sympathies et des admirations qui feraient horreur à l’autre. La propagande électorale ainsi entendue prépare à la guerre civile deux peuples ennemis et ne pouvant se comprendre.

La force seule donc décidera de ce conflit redoutable. Et voici, entre ces deux peuples dressés, que Bruxelles vient assurer définitivement la prédominance flamande. Les Wallons sont donc vaincus, et pour longtemps. Ils mettent maintenant dans le suffrage universel l’espoir d’une revanche. Il n’est pas du tout certain que le suffrage universel la leur procurera. Il n’est pas du tout certain qu’un gouvernement de gauche oserait s’affranchir de la tutelle flamingante. D’ailleurs, les Flamands, plus nombreux déjà, sont plus prolifiques. Les Wallons sont donc, et seront de plus en plus exposés à voir le pouvoir central contrecarrer leurs directions mentales, anéantir leurs espoirs, leur imposer des conceptions étrangères.

(…)

Ils nous ont pris notre langue.

Plus exactement, ils sont occupés à nous la prendre. Nous ne connaissons encore que la menace et l’humiliation. L’œuvre maudite se poursuit lentement, par degrés, sans brusque éclat, avec la patiente opiniâtreté qu’ils apportent en leurs conquêtes. On y distingue trois étapes : d’abord le flamand se glisse insidieusement, humblement, auprès du français. Il ne s’agit que d’une traduction ; qui pourrait refuser ce service fraternel à nos frères ? Puis, un beau jour, le flamand s’affirme en maître ; il revendique la première place qu’il appelle l’égalité ; le français n’est plus que toléré. Enfin, le français, sans cesse anémié, diminué, proscrit, disparaît. Et le lion de Flandre est souverain sans partage. Je m’empresse de dire que l’évolution n’est complète que dans certaines villes de Flandre. En Wallonie, nous n’en sommes encore, le plus souvent, qu’à la première ou à la seconde étape. Mais, petit à petit, si l’on n’y prend garde, nous en revenons au régime inauguré par le prince d’Orange en 1814.

L’horaire des chemins de fer est à cet égard un incomparable monument de la frénésie des traducteurs. Il y a dans les bureaux de ce ministère des employés que nous payons pour défigurer, de la manière la plus saugrenue, les noms de nos villes et de nos villages. Tout traduire est leur rêve ; puis, la contrainte administrative nous imposera ce bilinguisme inutile et vexant. Jeux puérils, pourrait-on croire. Non pas. D’abord le ridicule ne tue pas en Belgique. On s’y habitue assez facilement. On rit, on plaisante, on s’indigne, mais la traduction reste. Le Flamand ne recule jamais. Il a la douce obstination têtue du fanatisme.

Le ministère des travaux publics vient de suivre l’exemple des chemins de fer. Il a fait placer, au coin des routes, des plaques indicatrices bilingues. Près de Chimay (Chimei), on peut lire « Solre Sint-Goorinckx » ; à Huy (Hoei), le chemin de Borgworm ; à Charleroi, Marchiennes Ter Brug. Notez, Sire, que le piéton, le cycliste, l’automobiliste flamand qui demanderait à nos habitants du pays la direction de Sint Goorinckx, de Borgworm, ou de Marchiennes Ter Brug, se verrait accueilli avec stupéfaction et renvoyé d’un geste vague vers le Nord. Les traductions sont donc parfaitement inutiles pour les Flamands ; elles sont agaçantes pour les Wallons, parce qu’elles sont l’affirmation permanente de la conquête.

Waremme, ou Borgworm en néerlandais : une ville de la région de Liège

Ils nous ont pris…mais je m’arrête

Ce n’est pas le cahier de nos griefs que j’entends dresser ici. J’ai simplement voulu Vous montrer quelques points douloureux. Peut-être, malgré ma volonté de modération, ai-je trop assombri quelques traits du tableau ; peut-être ai-je, à certains moments, exagéré le mal. J’en sais pourtant qui diront que je suis resté en deçà de la vérité. Je n’ai pas le loisir aujourd’hui d’apporter en tout cela les précisions nécessaires. Des hommes de bonne volonté vont incessamment s’y employer. Je désire seulement Vous signaler l’état de malaise et d’inquiétude de la Wallonie.

Est-elle sacrifiée autant qu’elle le croit ? Nous le rechercherons plus tard. Il suffit qu’elle se croie menacée pour que cette opinion crée un danger.

La Belgique en danger

Un danger pour l’unité nationale, un danger pour Votre royaume, évidemment. Aveugle qui ne le voit pas ! « Il serait fâcheux, disait M. de Decker, de jeter un germe nouveau d’irritation au sein de populations qui doivent nous servir de barrière contre l’étranger. Elles ne sont déjà malheureusement que trop désaffectionnées au point de vue politique ; nous avons le plus grand intérêt à ne pas les laisser se désaffectionner encore au point de vue des réclamations légitimes en faveur de leur langue. »

Il est, parmi Vos conseillers et les dirigeants de nos affaires publiques, deux sortes de politiciens dangereux, dangereux parce qu’ils n’ont pas l’esprit ouvert. Les premiers voient le mal mais s’imaginent que l’autorité en aura facilement raison. Si les Wallons ne sont pas contents, on leur enverra des gendarmes. Évidemment, le procédé est expéditif et dispense de fatigantes méditations. Mais il n’atteint pas toujours le résultat souhaité. On peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus. Les seconds voient le mal et accusent ceux qui le dénoncent. Ce n’est pas plus intelligent. Ces gens-là ont la mentalité des paysans russes insultant et massacrant les médecins qui viennent essayer de les préserver du choléra. Pour ma part, pour avoir dit qu’il y avait une question wallonne, j’ai déjà à choisir entre « criminel » et « hurluberlu ». J’en verrai d’autres. Je leur répondrai tranquillement ; selon la leçon de Thémistocle : « Frappe, mais écoute. »

Au pis-aller, si c’était la séparation complète, pourquoi ne pourrait-elle pas se réaliser dans la concorde et l’harmonie ? Si nous étions des États-Unis, comme la Suisse ou l’Amérique, si nous avions notre « Home rule », le mal serait-il si grand ? Une Belgique faite de l’union de deux peuples indépendants et libres, accordés précisément à cause de cette indépendance réciproque, ne serait-elle pas un État infiniment plus robuste qu’une Belgique dont la moitié se croirait opprimée par l’autre moitié ? Au jour critique des complications internationales, Flamands et Wallons sentiraient battre leur cœur d’un même battement pour leur patrie et leur liberté, tandis que si on laisse croître « l’irritation » et la « désaffection », comment peut-on espérer que les Wallons défendraient avec pareille ardeur, la patrie et la liberté… des Flamands ?

Pierre de Decker, Premier ministre belge entre 1855 et 1857

Vos paroles d’Anvers ont heureusement souligné ces choses. Vous avez constaté que Votre royaume était fait de « deux populations également vaillantes, également douées ». Vous avez préconisé avec émotion, « la force par l’union, par l’entente loyale et cordiale ». On ne saurait mieux dire. L’union fait la force, mieux que ne pourrait la faire l’unité. Une unité menteuse, imposée, basée sur la brutale contrainte du nombre, une unité qui serait dans les proclamations officielles et non dans le cœur des citoyens ne vaudra jamais une union librement consentie, une entente loyale et cordiale. Cette union-là peut-elle s’établir dans le cadre constitutionnel actuel ?

Voilà toute la question.

Impuissance des partis

Je n’ai, pour la solution de cet inquiétant problème, qu’un espoir limité dans notre monde politique. Tout y est fâcheusement tranché selon l’intérêt de parti. Cette démarcation rigoureuse de catégories politiques peut avoir des avantages, mais elle a bien aussi des inconvénients. La presse quotidienne, qui forme l’opinion de tant de gens incapables de réfléchir par eux-mêmes, adopte ou repousse ainsi, selon l’intérêt du parti aux affaires duquel elle est associée, toute idée nouvelle. Et j’ai grand-peur que le projet de séparation de Vos deux peuples ne trouve d’appui immédiat nulle part. Les socialistes accueillent sympathiquement les doléances des nationalismes lointains, mais le régionalisme wallon semble, à certains de mes amis, vaguement réactionnaire et déplorablement décentralisateur. Les libéraux, eux, restent hypnotisés par l’espoir tenace du « réveil de la Flandre », comme ils disent, et la Flandre ne se réveille que pour s’éloigner d’eux. Quant aux catholiques, parmi lesquels il est tant de Wallons fervents (tant et tant de confidences et de discrets encouragements me l’ont prouvé), pas un n’osera s’associer à un mouvement qui paraît hostile au gouvernement, et le gouvernement n’osera jamais s’affranchir de la tutelle des Flandres dont il tire le plus clair de sa force. Je ne vois, parmi Vos conseillers, Sire, personne dont la taille soit assez haute pour se dresser au-dessus des cuisines électorales et des intérêts immédiats de son parti et voir ainsi les intérêts de la nation. Dès lors, quelques esprits libres pourront seuls méditer sur les problèmes qui dépassent les cadres habituels, mais ceux-là, Sire, sont le sel de la terre, le levain du monde, les préparateurs de l’avenir. En Vous y rangeant, je Vous fais le compliment le plus déférent qu’il me soit permis de Vous adresser, et cet hommage contribuera, je l’espère, à me faire pardonner l’importunité de cette longue, trop longue lettre.

Assurément, la grande masse est encore indifférente. Nous ne sommes pas encore au cœur de la tempête. Mais quand elle s’éveillera tout à fait, qui donc la pourra régir ? Nous n’avons pas les méthodes lentes et disciplinées des Flamands ; ce sera tout à coup que l’on se trouvera un jour, brusquement, si l’on continue à fournir des griefs à cette irritation, en présence du problème tout entier de l’indépendance wallonne.

Carte du comté de Flandre en 1609 par Matthias Quad et Johannes Bussemacher

Édifiant non ?

Tout est là tout est dit et il y a plus d’un siècle.

Tout aussi étonnante la réponse du roi qui ne fut pas publique mais qui l’écrivit à un de ses secrétaires : « J’ai lu la lettre de Destrée qui, sans conteste, est un littérateur de grand talent. Tout ce qu’il dit est absolument vrai, mais il est non moins vrai que la séparation administrative serait un mal entraînant beaucoup plus d’inconvénients et de dangers de tout genre que la situation actuelle. »

En gros, ne changeons rien au risque de faire plus mal.

De toute façon avec ou sans la volonté du roi, les Flamands petit à petit continueront à s’en charger du changement.

Anecdote amusante, qui n’enlève rien à ce constat de Destrée. Durant la Première guerre en voyant les Wallons et les Flamands se battre (côte à côte ?), il revient à une certaine forme d’union nationale belge et va jusqu’à écrire que « Les Belges ont manifesté une volonté de vivre en commun, une volonté de liberté et d’indépendance […] Ainsi la Belgique est une nation, indestructible. »

On peut se demander comment, après cette lecture, ses descendants politiques actuels plaident encore pour une solidarité quelle qu’elle soit. Et surtout qu’à chaque fois, ils s’imaginent aller contre le cours de l’Histoire et empêcher quoi que ce soit.

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