Archiducs Albert (1559-1621) et Isabelle (1598-1633) d’Autriche

Isabelle (1598-1633) et Albert (1559-1621) d'Autriche

Sous leur gouvernement pacifique, les cités flamandes retrouvèrent la tranquillité et une prospérité relative.

Albert : Archiduc d’Autriche. Sixième fils de l’empereur Maximilien II, il fut élevé à la Cour d’Espagne, devint cardinal (1577) et archevêque de Tolède (1584). Vice-roi du Portugal de 1583 à 1596, il se distingua en défendant Lisbonne contre les Anglais (1589). Gouverneur des Pays-Bas dès 1596, il dut renoncer à la pourpre deux ans plus tard pour épouser, le 18 avril 1599, sa cousine, l’infante Isabelle, à laquelle celui-ci venait de donner les PaysBas par l’Acte de cession. Battu par Maurice de Nassau à Westende (1600), il mena avec Spinola le siège d’Anvers (1601/1604) et, mû par sa volonté de pacifier le pays, signa en 1609 la trêve de Douze Ans avec les Provinces-Unies.

Isabelle : fille du roi d’Espagne Philippe II et petite-fille par sa mère Elisabeth de France du roi Henri II. Son père essaya de lui faire occuper le trône de France à la mort d’Henri III, au préjudice d’Henri de Navarre (1593). Cette tentative ayant échoué, Philippe II la maria avec Albert d’Autriche et lui donna en dot la souveraineté de la Franche-Comté et des Pays-Bas alors révoltés (1598). À la mort de son mari, elle fut ramenée, comme convenu, au rang de gouvernante-générale et abandonna peu à peu le pouvoir réel aux représentants de Philippe II.

Vie monacale

Autant l’archiduc est laid, autant l’archiduchesse est jolie. Blonde aux yeux pétillants d’intelligence, elle vit avec ses demoiselles d’honneur à l’égard desquelles elle fait preuve de bonté et de simplicité. De son père, Philippe II d’Espagne, Isabelle tient son ardeur au travail et son ascétisme chrétien. Avec son époux, elle se plie à un mode de vie austère, empreint de solennité et entièrement dévolue à la glorification de Dieu, en pleine Contre-Réforme. Leurs Majestés n’hésitent pas à quitter leur carrosse pour s’agenouiller sur le pavé quand ils croisent le Saint-Sacrement. Albert, appelé à juste titre « le Pieux », reçoit du pape la barrette cardinalice à l’adolescence bien qu’il ne fut jamais prêtre ou évêque. Il court les pèlerinages, porte durant les processions la châsse de son saint patron sur ses propres épaules et en position courbée, fait venir de pays protestants – dissimulées dans des barriques à fromage – des reliques menacées de destruction, lave les pieds de pauvres le Jeudi saint, ne se permet pas d’entrer à Bruxelles avant d’avoir fait ses dévotions à Notre-Dame de Hal… Isabelle ne lui cède en rien dans les démonstrations de piété. Fréquemment, elle organise des veillées de prières dans son appartement du Coudenberg. Vêtue comme une nonne, elle n’entame pas de lettre avant d’avoir tracé un signe de croix sur le papier et ne passe pas moins de six heures par jour en dévotions après le décès de son époux. Toute la Cour participe à cet élan de mysticisme par des pratiques religieuses multiples, jeûnes et retraites. Durant un sermon, le capucin italien de Casali se distingue en se fouettant jusqu’au sang les épaules et en se plantant une couronne d’épines au sommet du crâne… Isabelle fonde de nombreux Ordres religieux dans les Pays-Bas et y multiplie les monts-de-piété, banques de charité pour les classes moyennes et les petites gens, en remplacement des tables de prêt des Juifs et des Lombards.

Vivre « à l’étiquette »

Albert introduisit à la Cour des Pays-Bas l’étiquette royale telle qu’elle se pratiquait à la Cour espagnole. À table, les valets s’avançaient à genoux pour servir les souverains, isolés des courtisans sous un dais majestueux. Les femmes de la Cour ne pouvaient se déplacer qu’accompagnées de duègnes (gouvernantes âgées). Il leur était défendu de parler en aparté à des hommes. Isabelle se chargeait de surveiller les gouvernantes des enfants de Cour, les ménines, depuis qu’elle avait vu un jour échanger des billets doux dans un panier montant et descendant le long d’un mur extérieur. Les fenêtres des chambres des coupables furent barricadées ! Si l’échange persévérait malgré tout, elle faisait fouetter les demoiselles d’honneur qui enfreignaient son interdiction.

Sale couleur…

En 1601, les souverains s’emploient à contrer Maurice de Nassau et les troupes hollandaises, qui tiennent Ostende. Albert arrête l’avancée des Hollandais vers Dunkerque, reconquiert brièvement Ostende, pour la reperdre aussitôt. On raconte qu’Isabelle décida de ne pas changer de chemise tant que son mari ne se serait pas emparé de la ville. Comme le siège traîna jusqu’en 1604, sa chemise blanche aurait viré au jaune fauve. Ce serait l’origine du terme « isabelle » qui désigne la robe de certains chevaux. En fait, il s’agit d’une légende, car on la racontait déjà précédemment. Ainsi la reine Isabelle de Castille aurait fait le même vœu quand son mari Ferdinand II d’Aragon assiégea Grenade pendant huit mois, en 1491-1492.

Pas touche !

En 1609, à Saint-Germain, alors que Marie de Médicis – femme d’Henri IV –, organisait un ballet où figuraient les plus belles femmes de la Cour, celle-ci invita Mademoiselle Charlotte Marguerite de Montmorency, princesse de Condé, alors âgée de quatorze ans. Le roi en tomba follement amoureux. Elle était alors promise au duc de Bassompierre, mais Henri IV fit rompre les fiançailles pour la marier lors de sa seizième année avec un prince de sang, son neveu Henri de Bourbon, prince de Condé, non seulement parce qu’il était laid, mais surtout parce qu’il avait la réputation d’être impuissant. Mais le jour même de ses noces, celui-ci enferma sa femme dans son hôtel parisien pour la soustraire aux appétits du roi et éviter le déshonneur. En représailles, Henri lui coupa les vivres et le contraignit à s’installer à Fontainebleau, mais le prince fit de sa femme une chasse gardée. Alors le Vert-Galant recourut aux stratagèmes les plus fous pour l’approcher, comme se déguiser en « valet de chien » avec un emplâtre sur l’œil. Furieux, Condé se réfugia avec son épouse à Bruxelles, dans les Pays-Bas espagnols, son meilleur rempart. Les Archiducs Albert et Isabelle, pas mécontents de jouer un mauvais tour au roi de France, n’étaient pas enclins à restituer la princesse. Henri IV organisa un enlèvement à Bruxelles, mais il échoua car Charlotte était enfermée et surveillée. Alors le roi déclara la guerre à l’Espagne, en 1610. Mais il fut assassiné le 14 mai de la même année, Charlotte restant dans notre pays.

Sempiternel veuvage charitable

Albert mourut le 13 juillet 1621, perclus de goutte, les mains déformées par celle-ci, le visage exsangue. Isabelle avait organisé ses funérailles huit mois à l’avance ! Le défilé funèbre, encadré de 2 487 bourgeois porteurs de torches, dura 11 heures dans la capitale drapée de noir. Dans la collégiale Saints-Michel-et-Gudule (aujourd’hui cathédrale), où brûlaient des milliers de cierges, l’office dura du lever au coucher du soleil. Durant six semaines, le glas sonna trois heures par jour dans toutes les églises de la ville. Isabelle se fit couper les cheveux dès le lendemain de la mort de son époux et s’imposa un deuil pieux ad vitam, comme l’indique le fait qu’elle revêtit aussitôt la robe de bure de Sainte-Claire. Son appartement fut tendu de noir, elle refusa toute vie mondaine voyante, enchaîna les pèlerinages et mena une vie charitable. Ainsi, chaque Jeudi saint, elle pratiquait le « mandat », cérémonie qui consistait à laver les pieds de douze vieillards misérables. Pour éviter de tomber dans la dépression, elle ouvrit les portes de son palais de Coudenberg à quantité d’hôtes de marque européens. De nombreux princes en exil devinrent ses invités.

Agonie délirante de l’infante

Le 1er décembre 1633, à quatre heures du matin, l’infante Isabelle rendit son âme à Dieu après un étrange combat contre les ombres de la mort. Dans son délire, elle pensait que des rats géants dévoraient les oiseaux de sa volière et que ses chiens bavaient de rage. Elle entendait des hululements de chouettes et, les yeux hagards, elle voyait passer des étoiles filantes…

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